PUSSY-CAT

PAPILLON / Pussy-cat

Alors voilà l’histoire…

En 2003 comme j’étais triste à cause d’une fille envolée, disparue, j’ai ouvert ma machine à écrire mécanique pour coucher sur papier ma grande tristesse et me suis aperçu que, comble de malheur, la touche de la lettre « e » était cassée. La loose, comme on dit…

Comme il me fallait quand même quelque chose pour m’occuper l’esprit, j’ai relevé le défi, et me suis mis à écrire sans la lettre « e ». La première phrase qui m’est venue c’est :

« A ton bras j’allais

jusqu’au tout bout du bourg,

un vrai lord anglais. »

Ca m’a fait rire (il m’en faut peu) et dès lors je n’ai plus pu m’arrêter.

J’ai appris quelques temps plus tard, par hasard, inculte que je suis, que George Pérec avait écrit « La disparition » avec cette contrainte littéraire (voir l’Oulipo), qu’on appelle ça un lipogramme (comme la liposuccion mais tu remplaces la cellulite par une ou plusieurs lettres) et me suis interdit de lire son livre avant d’avoir terminé mon projet.

C’était devenu une obsession. À tel point que quand les gens me parlaient, au lieu d’écouter, je comptais mentalement les mots sans « e » qu’ils prononçaient, les notais discrètement sur des bouts de papier et, en rentrant à la maison, je les recollais à mes histoires.

Les chansons de Pussy-cat sont aussi le fruit du hasard et des rencontres.

Peu à peu, j’ai tricoté une histoire dont voici le synopsis :

« Tatiana naît du ciboulot d’un scribouillard provincial : Papillon. Tout va sur l’or jusqu’au jour où l’asticot du fruit conjugal fait son apparition. Tatiana disparaît alors au bras d’un nabab d’Hollywood, finit star du porno puis connaît la mort sous un wagon postal.

Papillon quant à lui s’assombrit dans l’alcool, la prostration, l’oubli.

Voilà tout. »

Le « e » étant le féminin, il est intéressant de voir ce que donne la disparition du féminin : où l’on s’aperçoit entre autres, que le présent existe peu sans la lettre « e » (compliqué de conjuguer JE au présent par exemple), que le passé ou le futur s’imposent naturellement, et que l’Avoir l’emporte sur l’Être.

Malgré cela, dans mon histoire, le héro (Papillon) retrouve un certain équilibre.

Je ne voulais pas que la contrainte s’entende, se remarque. Pour cela, je testais les chansons sur des amis, des proches. Sans rien dire. J’étais ravi d’avoir un secret à moi.

En parallèle de mon travail d’auteur, j’ai observé et respecté cette contrainte pendant 7 ans, jusqu’à obtenir un total d’une quarantaine de textes dont 20 sont mis en musique et 11 figurent sur le CD « Pussy-cat ».

Aujourd’hui je ne sais pas si c’est si important de savoir qu’il n’y a pas la lettre « e » dans les chansons. J’aimerais que les chansons parlent d’elles-mêmes avant tout.

Albert Jacquard dit que la contrainte, le handicap (exemple : le pianiste Petrucciani) peut déboucher parfois sur une originalité, une sensibilité, quelque chose qu’on n’attendait pas.

Le tout est de se trouver un langage à soi.

Voilà tout.